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Trudi la naine 12 mars, 2010
Titre : Trudi la naine
Auteur :Ursula Hegi
Voilà un livre que je n’aurai jamais du lire. Si je l’avais vu en librairie j’aurai pensé à peu près ceci : encore une biographie voyeuriste d’une pauvre femme qui a du subir l’intolérance et la bêtise des hommes et dont l’histoire est le prétexte à un roman simpliste et niais, l’occasion pour toute une génération de lectrices frustrées de se lamenter en frissonnant sur la cruauté de l’espèce humaine et buvant du thé et en mangeant des muffins.
Oui je sais je suis dure.
Et en plus je me trompais.
D’abord les muffins c’était la semaine dernière. Ensuite, il ne s’agit pas d’un roman voyeuriste, Trudi n’a même pas existé.
Le nanisme de Trudi, enfant puis adolescente enragée d’être différente, est rapidement relégué à l’arrière plan au fur et à mesure que le lecteur découvre l’ampleur et la vivacité de son esprit, de son intelligence, de sa colère. A la fois pudique et poétique, très descriptive, l’écriture de Hegi est à la hauteur de son personnage : puissante et touchante.
Une fois mise en place une galerie de personnages authentiques, liés ensemble par des drames intimes et des tragédies familiales balayés par le temps mais fondateurs, tout ce petit monde va se retrouver transformé par l’Histoire.
Tout y est : la lente montée du nazisme, Hitler, les promesses, les doutes, les premiers soupçons, l’antisémitisme qui devient la norme, la peur de désobéir, de sortir du rang, la peur pour ses amis, sa famille … Du piaillement des femmes du village, des ragots colportés par Trudi, la conteuse d’histoire, des histoires gaies ou infiniment tristes des petites vies intenses des habitants, on passe doucement au silence assourdissant jusqu’à l’insupportable qui emprisonne les allemands, piégés par leur propre peur. Chaque personnage devient un héros ou un bourreau, les désaccords de la veille se solde par des trahisons brutales, jusque dans les familles, et les parents serviables deviennent des héros au péril de leur vie.
Quel dommage que le titre mette tellement en avant la particularité physique de la narratrice, parce qu’elle est loin d’en être le sujet principale. Au premier plan, c’est l’Allemagne de l’entre deux guerres et la fin d’un monde. Elle prend vie grâce au travail colossal d’historienne de l’auteur, et bien sûr, grâce à sa sensibilité pour ses personnages : Trudi, courageuse, coquette, blessée et orgueilleuse mais bien plus aimée qu’elle ne le croit, son père boîteux aux yeux si bleus et au coeur éternellement amoureux, et tous leurs voisins, tous terriblement humains, qu’on aime à a folie, avec lesquels on vit, pour lesquels on retient son souffle, et qui sont comme une famille pour laquelle me sont venues les larmes aux yeux dans les dernières pages.